Page:Zola - Les Mystères de Marseille, Charpentier, 1885.djvu/227

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en quelques années, il n’est pas un jeune homme qui ne rêve une pareille aubaine. Tout le monde veut entrer dans le négoce, la ville entière est une énorme banque où l’on ne vit que pour battre monnaie. Allez sur le port, allez dans tous les endroits où va la foule : vous n’entendrez parler que d’argent, vous vous croirez dans un immense bureau où toutes les conversations sont hérissées de chiffres. La grande affaire est, lorsqu’on a dix francs dans sa poche, d’en gagner vingt, trente, quarante. Ceux qui ont de gros capitaux jouent à la Bourse, achètent et revendent. Mais les pauvres, ceux qui ne possèdent que quelques francs, ont la ressource du jeu ; n’ayant pas de quoi tenter de vastes entreprises, ils se satisfont en s’adressant au hasard ; c’est là un moyen de faire fortune ou de se ruiner, à la portée de tout le monde, moyen facile et prompt, négoce étrange, plein d’émotions cuisantes. Le joueur est un spéculateur qui vit en une nuit toute une existence haletante, qui éprouve les anxiétés, les espérances et les désespoirs d’un agioteur. Dans une ville comme Marseille, où l’argent règne en souverain maître, où la population est secouée par une terrible fièvre commerciale, le jeu devient une nécessité, une sorte de banque ouverte à tous, dans laquelle chacun, le pauvre et le riche, peut risquer ses gros sous ou ses pièces d’or.

Ajoutez à cela que les riches, ceux qui remuent l’or à la pelle, ceux qui gagnent en une journée des sommes énormes, ne tiennent guère à cet or qu’ils entassent si facilement. Un ouvrier regarde avec dévotion la pièce de cinq francs qu’on lui remet le soir ; il a sué sang et eau pour gagner cette pièce, elle représente pour lui un labeur accablant, de longues heures de fatigue ; et il faut qu’il vive avec cet argent. Mais un négociant, un agioteur qui, tout en restant assis dans son bureau, se trouve avoir gagné le soir plusieurs centaines de francs, ne craint pas de laisser tomber quelques pièces de vingt francs, en mettant son gain dans sa poche. Il sait que le lendemain il en gagnera autant sans doute ; il est encore