Page:Zola - Les Mystères de Marseille, Charpentier, 1885.djvu/239

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promettant bien de prendre leur part de cette somme. Le jeune homme leur paraissait être un niais dont elles auraient facilement raison et qu’elles dépouilleraient à leur aise. Isnarde eut un éclat de rire, et dit d’une voix légèrement avinée :

« Est-ce que vous allez déjà vous coucher, messieurs ?

Marius retira vivement son bras, avec une répugnance qu’il ne prit pas la peine de cacher.

« Mes amours, répondit Sauvaire, je veux bien vous payer à déjeuner... Hein ! promettez-moi d’être bien amusantes... Venez-vous, Marius ?

– Non, répondit brusquement le jeune homme.

– Ah ! monsieur ne vient pas, dit alors Clairon d’une voix traînante, ah ! c’est ennuyeux... Il nous aurait payé du champagne... Il nous doit bien cela. »

Marius fouilla dans ses poches, en tira deux poignées d’or et les jeta à Clairon et à Isnarde. Les femmes empochèrent l’argent sans se fâcher le moins du monde.

« À ce soir dit Marius à Sauvaire.

– À ce soir », répondit le maître portefaix.

Il prit une des deux femmes à chacun de ses bras, et s’en alla ainsi en chantant, en faisant un bruit d’enfer dans la rue silencieuse.

Marius le regarda s’éloigner, puis il gagna sa petite chambre paisible de la rue Sainte. Il était six heures du matin. Il se coucha et s’endormit d’un sommeil de plomb. Il ne se réveilla qu’à deux heures.

Quand il ouvrit les yeux, il aperçut sur sa commode l’argent qu’il avait gagné. Les reflets fauves qui couraient sur les pièces d’or l’effrayèrent presque ; tout d’un coup, il se rappela avec une netteté étrange la nuit qu’il avait passée ; et une émotion poignante le prit à la gorge. Il eut peur d’être devenu joueur, car sa première pensée, au réveil, avait été qu’il retournerait le soir au tripot et qu’il gagnerait encore. À cette pensée, il y avait eu en lui des frissons, des brûlures toute une volupté cuisante.