Page:Zola - Les Mystères de Marseille, Charpentier, 1885.djvu/268

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

Il monta derrière elle, en disant :

« Nous allons au Ciel ! »

Le postillon fit claquer son fouet, et la chaise de poste partit avec un roulement terrible.

Alors, Sauvaire et Marius se montrèrent, riant aux larmes.

« Eh ! L’abbé enlève l’âme sœur de son âme, dit Marius.

– Bon voyage, l’abbé ! » s’écria Sauvaire.

Lorsque la chaise eut disparu dans la nuit, emportant Donadéi et Clairon, le maître portefaix et le jeune employé descendirent lentement le boulevard de la Corderie, causant de l’aventure, pris de gaietés soudaines à la pensée de ce prêtre voyageant en tête à tête avec cette créature.

« Vous imaginez-vous la mine qu’il fera tout à l’heure, disait Sauvaire, lorsqu’il lèvera la voilette de Clairon ?... Entre nous, vous savez, Clairon est laide. Elle a au moins quarante ans. »

Le maître portefaix convenait volontiers de l’âge et de la laideur de Clairon, depuis que les quarante ans et le visage fané de cette fille rendaient meilleure la farce qu’il venait de jouer.

« Je lui souhaite bien du plaisir, continuait-il... Ah ! non, c’est trop drôle ! »

Il se tordait, il avait hâte d’arriver à la Cannebière pour conter l’histoire à ses amis. Marius, plus grave, songeait qu’il avait donné au prêtre la compagnie qu’il méritait. Il quitta le maître portefaix vers onze heures et rentra chez lui.

À minuit, les personnes qui n’étaient pas couchées à Marseille savaient que l’abbé Donadéi venait d’enlever, dans une chaise de poste, Clairon, une fille qui se traînait depuis quinze ans au milieu des débauches de la ville. Sauvaire était allé crier la nouvelle dans les cafés et avait raconté l’aventure avec un luxe de détails inouïs. On répétait de bouche à bouche la phrase précieuse du gracieux abbé, en montant en voiture : « Nous allons au Ciel ! » On savait qu’il lui avait baisé la main, on