Page:Zola - Les Mystères de Marseille, Charpentier, 1885.djvu/324

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de se serrer la main sans péril. D’ailleurs, Philippe était tellement changé sous ses grossiers habits de portefaix, sans barbe, le visage et les mains hâlés, que Mathéus passa plusieurs fois à côté de lui sans le reconnaître. M. de Cazalis, qui ne voulait point mêler la police à ses affaires, avant d’avoir préparé une arrestation certaine, se désespérait des insuccès de son espion. Il le lançait chaque matin dans Marseille, en lui faisant des promesses de plus en plus fortes, éperonné par la crainte de voir réussir les démarches que Marius tentait pour obtenir la grâce de son frère.

Un jour, M. de Cazalis, en passant sur le port, se mêla à un rassemblement qui se formait autour d’un blessé. Il apprit que c’était un portefaix dont le pied venait d’être écrasé sous une énorme caisse de marchandises. Comme il s’approchait davantage, il vit auprès du pauvre diable un de ses collègues, un autre portefaix, qui donnait des ordres, et dont les gestes brusques et la voix haute lui causèrent une profonde émotion. Il n’avait entendu qu’une fois la voix de Philippe, lors du procès, et cette voix était restée vibrante et forte dans ses oreilles.

Il revint en toute hâte à son hôtel et fit appeler Mathéus qui reçut de lui des instructions détaillées. Ce dernier devait s’assurer de l’identité du portefaix, le suivre pendant deux ou trois jours pour connaître ses habitudes et les lieux qu’il fréquentait. Le lendemain, la chasse commença.

Le plan de M. de Cazalis était d’une simplicité adroite. Il voulait faire coup double. Des envies lui venaient d’embrasser son petit-neveu, et, jugeant qu’il l’avait laissé assez longtemps aux Cayol, il désirait le posséder à son tour. Pour retrouver et voler l’enfant, il décida qu’il se servirait du père. Philippe, à coup sûr, devait rendre de fréquentes visites à son fils : il n’y avait donc qu’à le suivre pour connaître la retraite du petit. M. de Cazalis se disait que, lorsqu’il connaîtrait cette retraite, il lui serait facile d’y faire arrêter son