Page:Zola - Les Mystères de Marseille, Charpentier, 1885.djvu/327

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lui donnait de nouvelles forces et apaisaient les mauvaises fièvres qui le secouaient parfois.

On n’aurait pas reconnu dans cet homme, courbé et vieilli, veillant sur un enfant comme une nourrice dévouée, le jeune amoureux, élégant et tapageur, qui remplissait Marseille, trois ans auparavant, du bruit de ses bonnes fortunes. Le malheur est une rude école.

Le soir où M. de Cazalis et Mathéus se rendaient à Saint-Barnabé, accompagnés de deux gendarmes, Philippe, comme à son ordinaire, était arrivé chez Ayasse vers six heures. Le jardinier et sa femme l’attendaient pour conduire à Marseille une voiture de raisins. Dès qu’il se trouva seul, il se retira dans la salle du bas et s’enferma. Le petit Joseph n’était guère en train de jouer : il avait couru au milieu des vignes toute la journée, il dormait sur une sorte de vieux canapé, les lèvres souriantes et barbouillées de raisin. Philippe marcha doucement pour ne pas l’éveiller et finit par s’asseoir en face de lui. Il le regardait dormir, au milieu du silence, dans la lueur vague du crépuscule qui tombait. Pendant près d’une heure, il resta ainsi muet et immobile, écoutant la respiration légère de l’enfant, trouvant dans sa contemplation des délices profondes. De grosses larmes, qu’il ne sentait pas, coulaient sur ses joues.

Comme il était là, perdu dans une extase attendrie, on frappa brusquement à la porte, et il lui sembla que des mains se posaient sur ses épaules pour l’arrêter. Les coups violents qui retentissaient le tirèrent de son rêve. Il retomba sur la terre, du haut de ses songes, et il passa de sa sérénité oublieuse à son épouvante de toutes les heures. Là, derrière la porte, il y avait des gendarmes.

À demi levé, il écouta, bien décidé à ne pas ouvrir. Il fermait la porte chaque soir, pour faire croire que la maison était vide. Le petit Joseph dormait toujours, rose et riant. Les coups redoublaient, et le condamné remarqua qu’ils étaient donnés par une main faible et impatiente. Au même instant, il entendit une voix de