Page:Zola - Les Mystères de Marseille, Charpentier, 1885.djvu/376

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hommes auxquels le peuple semblait obéir. Et la foule descendait la Cannebière, coulant entre les maisons comme une eau vivante, pleine de reflets bariolés, avec un grondement menaçant.

Au premier rang, au milieu d’un groupe d’ouvriers, marchait Philippe, la tête haute, le front dur et résolu. Il portait une redingote noire qu’il avait boutonnée entièrement et qui lui serrait la taille ainsi qu’une tunique militaire. On sentait qu’il était prêt pour la lutte, qu’il l’attendait et la désirait. Les yeux clairs, les lèvres pincées, il ne prononçait pas un mot. Autour de lui, les ouvriers, pâles et silencieux, le regardaient par instants et semblaient attendre ses ordres.

Comme la colonne entrait dans la rue Saint-Ferréol, il y eut un léger tumulte, elle fit halte pendant une ou deux minutes, puis elle se remit en marche. La rue, jusqu’à la place qui la termine, était vide, quelques boutiquiers avaient fermé leurs magasins : du monde regardait par les fenêtres ; un silence de mort régnait, coupé seulement par le bruit profond des pas de la foule.

Au milieu de la rue vide, au coin d’une ruelle latérale, les ouvriers du premier rang aperçurent un homme, petit et d’allure chétive, qui attendait la colonne. Lorsque Philippe fut près de cet homme, il reconnut son frère. Marius, sans prononcer une parole, vint se placer à côté de lui et marcha tranquillement au milieu des émeutiers. Les deux frères échangèrent un simple regard. On dut croire qu’ils étaient étrangers l’un à l’autre.

Et le flot humain continua à rouler ainsi jusqu’à la place Saint-Ferréol.

Là, à quelques mètres de la place, un cordon de troupes fermait la rue. La foule était sans armes, et les baïonnettes des soldats luisaient au soleil. Des murmures de colère et de surprise coururent dans les premiers rangs et s’étendirent avec rapidité d’un bout à l’autre de la colonne, dont la queue se trouvait encore sur la Cannebière. Les ouvriers disaient d’une voix basse et grondante qu’on voulait les égorger, qu’ils devaient