Page:Zola - Les Mystères de Marseille, Charpentier, 1885.djvu/39

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qu’ils regardaient avec méfiance. Puis, la campagne large s’étendit devant eux, ils ne virent plus, de loin en loin, au bord des sentiers, que des pâtres graves et immobiles au milieu de leurs troupeaux.

Et, dans l’ombre, dans le silence attendri de la nuit sereine, ils continuaient à fuir. Des soupirs vagues montaient autour d’eux ; les pierres roulaient sous leurs pieds avec des bruits inquiétants. La campagne endormie s’élargissait toute noire dans la monotonie des ténèbres. Blanche, effrayée, se serrait contre Philippe, hâtant les petits pas de ses pieds pour ne pas rester en arrière ; elle poussait de gros soupirs, elle se rappelait ses paisibles nuits de jeune fille.

Puis vinrent les collines, les gorges profondes qu’il fallut franchir. Autour de Marseille, les routes sont douces et faciles ; mais, en s’enfonçant dans les terres, on rencontre ces arêtes de rochers qui coupent tout le centre de la Provence en vallées étroites et stériles. Des landes incultes, des coteaux pierreux semés de maigres bouquets de thym et de lavande, s’étendaient maintenant devant les fugitifs, dans leur morne désolation. Les sentiers montaient, descendaient le long des collines ; des éclats de roches encombraient les chemins ; sous la sérénité bleuâtre du ciel, on eût dit une mer de cailloux, un océan de pierres frappé d’éternelle immobilité en plein ouragan.

Victor, marchant le premier, sifflait doucement un air provençal, en sautant sur les roches, avec une agilité de chamois ; il avait grandi dans ce désert, il en connaissait les moindres coins perdus. Blanche et Philippe le suivaient péniblement ; le jeune homme portait à moitié la jeune fille, dont les pieds se meurtrissaient aux pierres aiguës du chemin. Elle ne se plaignait pas, et, lorsque son amant interrogeait son visage dans l’ombre transparente, elle lui souriait avec une douceur triste.

Ils venaient de dépasser Septème, quand la jeune fille épuisée se laissa glisser sur le sol. La lune, qui