Page:Zola - Les Mystères de Marseille, Charpentier, 1885.djvu/402

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lieu de le pousser à la révolte, il eût mieux valu lui accorder la liberté et le pain dont il a besoin pour vivre. Il aurait employé à créer des œuvres utiles toutes les énergies qu’il dépense aujourd’hui pour élever des barricades. » M. de Girousse ne raillait plus. Il était devenu grave. Philippe continua violemment :

« Votre place n’est pas ici. Vous venez au milieu de nos barricades, comme les patriciens de l’antique Rome allaient au cirque voir mourir des esclaves... Ah ! malgré votre bonté, il y a du sang cruel dans vos veines. Vous avez des curiosités de maître ennuyé, je le vois, et notre insurrection, cette insurrection qui va nous coûter des larmes, n’est pour vous qu’un spectacle. Croyez-moi, vous feriez mieux de vous en aller. Nous ne sommes pas des acteurs, nous n’avons pas besoin de parterre. »

Le vieux comte avait pâli. Il resta immobile un instant ; puis comme Philippe se baissait pour reprendre son tonneau, il lui demanda d’une voix paisible :

« Mon ami, voulez-vous me permettre de vous aider ? »

Il prit le tonneau d’un bout. Le républicain et le légitimiste le portèrent ainsi jusqu’à la barricade, où ils le jetèrent.

« Diable ! dit M. de Girousse, ce n’était pas lourd, mais mon sabre me gênait terriblement. »

Il se frotta les mains, pour en essuyer la poussière et revint sur la place, où il se trouva face à face avec Marius. Après les premières paroles de surprise : « Votre frère vient de me conseiller de m’éloigner, reprit-il en souriant. Il a raison, je suis un vieux curieux... Cachez-moi donc quelque part. »

Marius le fit monter dans la maison où se trouvaient Fine et Joseph. Le comte s’établit sur le palier du troisième étage, devant une fenêtre qui donnait sur la place. Les paroles de Philippe avaient mis en lui une tristesse profonde.

Marius n’était descendu que pour prier son frère de venir rassurer la pauvre Fine et l’enfant, qui se mouraient