Page:Zola - Les Mystères de Marseille, Charpentier, 1885.djvu/441

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en date du 10 août qui autorisait les navires venant du Levant à entrer d’emblée dans le port, sur une simple déclaration des médecins du bord. Ce décret supprimait ainsi les quarantaines et ouvrait la ville aux germes de la maladie.

D’ailleurs, l’incubation fut assez lente. À la fin d’août, on ne comptait que cent quatre-vingt-seize victimes. Mais le mois de septembre fut terrible : il y eut douze cents morts. L’épidémie finit en octobre, après avoir encore frappé près de cinq cents personnes.

Dès les premiers jours, une panique folle s’était emparée des habitants. Ce fut une fuite générale. La nouvelle que le choléra s’abattait de nouveau sur la ville courut de quartier en quartier comme une traînée de poudre. Un homme était mort dans une agonie atroce, et bientôt cet homme s’était multiplié, les commères affirmaient qu’elles avaient vu passer plus de cinquante enterrements. Le peuple parlait à voix basse de poison, accusant les riches d’avoir empoisonné l’eau de toutes les fontaines. Ces idées augmentaient encore la panique. Un pauvre diable, qui buvait à la fontaine du Cours, faillit être assommé, parce qu’un ouvrier prétendait l’avoir vu jeter quelque chose dans l’eau.

La peur faisait des ravages incroyables dans ces imaginations ardentes. Il semblait aux habitants qu’un vent empesté passait sur leur ville. Les femmes ne marchaient dans les rues qu’en appuyant un mouchoir sur leurs lèvres. N’osant plus boire, n’osant plus respirer, les Marseillais ne vivaient plus.

La ville fut désertée. Tous ceux qui purent prendre la fuite se sauvèrent. Les campagnes environnantes s’emplirent de fuyards. Il y eut des gens qui allèrent camper jusque dans les collines de la Nerthe : ils aimaient mieux vivre en plein ciel, coucher sous une tente, que de rester dans une cité où ils se heurtaient à la mort au coin de chaque rue. Les gens riches, ceux qui avaient des propriétés ou qui pouvaient en louer une, furent les premiers à s’éloigner ; puis, les employés eux-