Page:Zola - Les Mystères de Marseille, Charpentier, 1885.djvu/457

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la douceur d’un chant triste et lointain.

Chaque année, Joseph va à Lambesc ouvrir la chasse avec M. de Girousse. Le comte est bien vieux, mais il a encore l’esprit vif et original de sa jeunesse. D’ailleurs, il ne s’ennuie plus, il s’est décidé à créer une grande usine.

« Ah ! dit-il souvent au jeune homme, si vous entendiez la noblesse du département parler de moi ! Je suis un jacobin, je me suis mésallié en épousant l’industrie... Voyez-vous, je regrette de n’être pas né ouvrier, car je n’aurais pas passé cinquante ans de ma vie à traîner dans ce coin de la France une existence vide et inutile. »

Mais le grand ami de Joseph est le digne Sauvaire. L’ancien maître portefaix, perclus de rhumatismes, a gardé ses allures triomphantes. Les jours de soleil, il va encore promener sa vanité sur la Cannebière ; et il croit de bonne foi que toutes les filles qui passent tombent subitement amoureuses de lui.

Joseph lui paraît être un garçon bien trop raisonnable.

« Voyez-vous, lui dit-il en s’appuyant sur son bras, il faut s’amuser en cette vie. De mon temps, on riait du matin au soir. Ah ! bon Dieu ! en ai-je fait de ces parties fines ! J’ai eu pour maîtresses toutes les jolies femmes de la ville. Demandez à votre oncle. Parlez-lui de Clairon. Voilà une femme qui m’a coûté de l’argent ! »

Et il ajoute, à voix plus basse, cette phrase qu’il aime à répéter :

« Ce sont les prêtres qui me l’ont prise. »