Page:Zola - Les Mystères de Marseille, Charpentier, 1885.djvu/71

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les puissants, hautains avec les faibles. Il y a sans doute des exceptions, mais elles sont rares… Vous voyez bien que votre frère sera condamné. Notre orgueil, qui plie devant un Fouché, ne peut plier devant un Cayol. Cela est logique… Bonsoir. »

Et le comte congédia brusquement Marius. Il s’était exaspéré lui-même en parlant, il craignait que la colère ne finît par lui faire dire des sottises.

Le lendemain, le jeune homme le rencontra de nouveau. M. de Girousse, comme la veille, l’entraîna dans son hôtel. Il tenait à la main un journal où se trouvaient imprimés les noms des jurés qui devaient juger Philippe.

Il frappa du doigt avec force sur le journal.

« Voilà donc les hommes, s’écria-t-il, qui vont condamner votre frère !… Voulez-vous que je vous raconte à leur sujet quelques histoires ? Ces histoires sont curieuses et instructives. »

M. de Girousse s’était assis. Il parcourait le journal du regard, avec des haussements d’épaules.

« C’est là, dit-il enfin, un jury de choix, une assemblée de gens riches qui ont intérêt à servir la cause de M. de Cazalis… Ils sont tous plus ou moins marguilliers, plus ou moins répandus dans les salons de la noblesse… Ils ont presque tous pour amis des hommes qui passent leurs matinées dans les églises, et qui exploitent leurs clients le reste du jour. »

Puis, il nomma les jurés un à un, et parla du monde qu’ils fréquentaient avec une violence indignée.

« Humbert, dit-il, le frère d’un négociant de Marseille, d’un marchand d’huile, honnête homme qui tient le haut du pavé et que tous les pauvres diables saluent. Il y a vingt ans, leur père n’était que petit commis. Aujourd’hui, les fils sont millionnaires, grâce à ses spéculations habiles. Une année, il vend à l’avance, au prix courant, une grande quantité d’huile. Quelques semaines après, le froid tue les oliviers, la récolte est perdue, il est ruiné s’il ne trompe ses clients. Mais