Page:Zola - Les Mystères de Marseille, Charpentier, 1885.djvu/81

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

on ne distinguait pas les corps, enfouis au milieu des dentelles, des rubans, des étoffes. Et, de cette foule rougissante et bavarde, tombaient des rires perlés, des paroles chuchotées, de petits cris aigus. Ces dames étaient au spectacle.

Lorsque Philippe Cayol fut introduit, il se fit un grand silence. Toutes les dames le mangèrent du regard ; quelques-unes d’entre elles braquèrent sur lui des lorgnettes de théâtre, l’examinant de haut en bas. Ce grand garçon, dont les traits énergiques annonçaient les appétits violents, eut un succès. Les femmes, qui étaient venues pour juger du goût de Blanche, trouvèrent sans doute la jeune fille moins coupable, quand elles virent la haute taille et les regards clairs de son amant.

L’attitude de Philippe fut calme et digne. Il était vêtu tout de noir. Il semblait ignorer la présence des deux gendarmes qui étaient à ses côtés, se levait et s’asseyait avec les grâces d’un homme du monde. Par moments, il regardait la foule tranquillement, sans effronterie. Il porta les yeux plusieurs fois sur la tribune ; et, chaque fois, malgré lui, il eut des sourires, son besoin d’aimer et de vouloir plaire le reprenait, même là.

On lut l’acte d’accusation.

Cet acte était écrasant pour l’accusé. Les faits, selon les dépositions de M. de Cazalis et de sa nièce, s’y trouvaient interprétés d’une façon habile et terrible. On y disait que Philippe avait séduit Blanche à l’aide de mauvais romans : la vérité était qu’il s’agissait de deux ouvrages de Mme de Genlis, parfaitement puérils. L’accusation disait, en outre, en acceptant la version de Blanche, que la jeune fille avait été enlevée avec violence, qu’elle s’était cramponnée à un amandier, et que pendant toute la fuite, le séducteur avait dû employer l’intimidation pour se faire suivre par sa victime. Enfin, le fait le plus grave consistait dans une affirmation de Mlle de Cazalis : elle prétendait qu’elle n’avait jamais écrit de lettres à Philippe et