Page:Zola - Les Trois Villes - Lourdes, 1894.djvu/109

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

comme s’ils n’avaient pas connu l’histoire, tellement ils étaient pris par les détails d’humanité attendrie et souriante que donnait le conteur. Les regards ne le quittaient plus, les têtes se tendaient vers lui, bizarrement éclairées, sous les lampes fumeuses. Et il n’y avait pas que les malades, les dix femmes du compartiment du fond, elles aussi, se passionnaient, tournaient leurs pauvres faces laides, belles de naïve croyance, heureuses de ne pas perdre un mot.

— Non, je ne peux pas ! déclara d’abord sœur Hyacinthe. Le programme est formel, il faut faire silence.

Cependant, elle fléchissait, si intéressée elle-même, qu’elle en avait un battement de cœur, sous sa guimpe. Marie insista de nouveau, suppliante ; tandis que son père, M. de Guersaint, qui écoutait d’un air très amusé, déclarait qu’on allait en être malade, si l’on ne continuait pas ; et, comme madame de Jonquière souriait d’un air indulgent, la sœur finit par céder.

— Eh bien ! voyons, encore un petit quart d’heure, mais rien qu’un petit quart d’heure, n’est-ce pas ? parce que je serais fautive.

Pierre avait attendu paisiblement, sans intervenir. Et il continua de la même voix pénétrante, où le doute s’attendrissait de pitié pour ceux qui souffrent et qui espèrent.

Maintenant, le récit reprenait à Lourdes, rue des Petits-Fossés, une rue morne, étroite et tortueuse, qui descend entre des maisons pauvres et des murs grossièrement crépis. Au rez-de-chaussée d’une de ces tristes demeures, au bout d’une allée noire, les Soubirous occupaient une chambre unique, où sept personnes s’entassaient, le père, la mère et les cinq enfants. On voyait à peine clair, la cour intérieure, toute petite et humide, s’éclairait d’un jour verdâtre. On dormait là, en tas ; on y mangeait, quand on avait du pain. Depuis quelque temps, le père, meunier