Page:Zola - Les Trois Villes - Lourdes, 1894.djvu/171

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maladie. Ce fut la fille, florissante de jeunesse, rayonnante de beauté et de santé, que l’on coucha au cimetière, dans la case vide, près de la mère. L’homme heureux de la veille, l’homme aidé, adoré, qui avait à lui deux chères créatures dont la tendresse lui tenait chaud au cœur, n’était plus qu’un vieil homme misérable, bégayant et perdu, que la solitude glaçait. Toute la joie de sa vie avait croulé, il enviait les cantonniers qui cassaient les pierres sur les routes, quand il voyait des femmes et des gamines leur apporter la soupe, pieds nus. Et il s’était refusé à quitter Lourdes, il avait tout abandonné, ses travaux, sa clientèle de Paris, pour vivre là, près de cette tombe où sa femme et sa fille dormaient leur dernier sommeil.

— Ah ! mon vieil ami, répéta Pierre, comme je vous ai plaint ! Quelle affreuse douleur !… Mais pourquoi n’avoir pas compté un peu sur ceux qui vous aiment ? pourquoi vous être enfermé ici, dans votre chagrin ?

Le docteur eut un geste qui embrassait l’horizon.

— Je ne puis m’en aller, elles sont là, elles me gardent… C’est fini, j’attends de les rejoindre.

Et le silence retomba. Derrière eux, dans les arbrisseaux du talus, des oiseaux voletaient ; tandis qu’ils entendaient, en face, le grand murmure du Gave. Au flanc des coteaux, le soleil s’alourdissait, en une lente poussière d’or. Mais, sous les beaux arbres, sur ce banc écarté, la fraîcheur restait délicieuse ; et ils étaient comme au désert, à deux cents pas de la foule, sans que personne s’arrachât de la Grotte, pour s’égarer jusqu’à eux.

Longtemps, ils causèrent. Pierre lui avait conté dans quelles circonstances il était arrivé le matin à Lourdes, avec le pèlerinage national, en compagnie de M. de Guersaint et de sa fille. Puis, à certaines phrases, il eut un sursaut d’étonnement.

— Eh quoi ! docteur, vous croyez maintenant le miracle