Page:Zola - Les Trois Villes - Lourdes, 1894.djvu/220

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Chacune son tour, la sainte Vierge n’oubliait aucune de ses filles aimées, à moins que son dessein ne fût d’octroyer le paradis à une élue, tout de suite.

Brusquement, au moment où Pierre se penchait vers elle, pour lui offrir de nouveau une lecture, Marie éclata en furieux sanglots. Elle avait abattu sa tête sur l’épaule de son ami, elle disait sa colère d’une voix basse, terrible, au milieu des ombres vagues de l’effroyable salle. C’était, chez elle, comme il arrivait rarement, une perte de la foi, un manque soudain de courage, toute une révolte de l’être souffrant qui ne pouvait plus attendre. Et elle en arrivait au sacrilège.

— Non, non, elle est méchante, elle est injuste. J’étais si certaine qu’elle m’exaucerait aujourd’hui, et je l’avais tant priée ! Jamais je ne guérirai, maintenant que cette première journée va finir. C’était un samedi, j’étais convaincue qu’elle me guérirait un samedi… Oh ! Pierre, je ne voulais plus parler, empêchez-moi de parler, parce que mon cœur est trop gros et que j’en dirais trop long !

Vivement, il lui avait saisi la tête d’une étreinte fraternelle, il tâchait d’étouffer le cri de sa rébellion.

— Marie, taisez-vous ! Il ne faut pas qu’on vous entende… Vous, si pieuse ! Voulez-vous donc scandaliser toutes les âmes ?

Mais elle ne pouvait se taire, malgré son effort.

— J’étoufferais, il faut que je parle… Je ne l’aime plus, je ne crois plus en elle. Ce sont des mensonges, tout ce qu’on raconte ici : il n’y a rien, elle n’existe même pas, puisqu’elle n’entend pas, quand on l’appelle et qu’on pleure. Si vous saviez tout ce que je lui ai dit !… C’est fini, Pierre, je veux m’en aller à l’instant. Emmenez-moi, emportez-moi, pour que j’achève de mourir dans la rue, où du moins les passants auront pitié de ma souffrance.

Elle s’affaiblissait, elle était retombée sur le dos, bégayante, puérile.