Page:Zola - Les Trois Villes - Lourdes, 1894.djvu/255

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le visage fouetté d’un buée chaude, chargée d’une odeur suffocante de nourriture.

Pierre, d’abord, n’avait rien distingué. Puis, quand il se trouva installé à leur petite table, une table de jardin, rentrée pour la circonstance, et où les deux couverts se touchaient, il fut troublé, un peu écœuré même, par le spectacle de la table d’hôte, qu’il enfilait d’un regard. Depuis une heure, on y mangeait, deux fournées de voyageurs s’y étaient succédé, et les couverts s’en allaient à la débandade, des taches de vin et de sauce salissaient la nappe. On ne s’inquiétait déjà plus de la symétrie des compotiers, décorant la table. Mais, surtout, le malaise venait de la cohue des convives, des prêtres énormes, des jeunes filles grêles, des mamans débordantes, des messieurs très rouges et seuls, des familles à la file, alignant des générations d’une laideur aggravée et pitoyable. Tout ce monde suait, avalait gloutonnement, assis de biais, les bras collés au corps, les mains maladroites. Et, dans ces gros appétits décuplés par la fatigue, dans cette hâte à s’emplir pour retourner plus vite à la Grotte, il y avait, au centre de la table, un ecclésiastique corpulent qui ne se pressait pas, qui mangeait de chaque plat avec une sage lenteur, d’un broiement digne de mâchoires, ininterrompu.

— Fichtre ! dit M. de Guersaint, il ne fait pas froid ici ! Je vais quand même manger volontiers ; car, je ne sais pas, depuis que je suis à Lourdes, je me sens toujours l’estomac dans les talons… Et vous, avez-vous faim ?

— Oui, oui, je mangerai, répondit Pierre, qui avait le cœur sur les lèvres.

Le menu était copieux : du saumon, une omelette, des côtelettes à la purée de pommes de terre, des rognons sautés, des choux-fleurs, des viandes froides, et des tartes aux abricots ; le tout trop cuit, noyé de sauce, d’une fadeur relevée de graillon. Mais il y avait d’assez beaux