Page:Zola - Les Trois Villes - Lourdes, 1894.djvu/266

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partout, de toutes les classes, de toutes les fortunes, de toutes les provinces. Beaucoup ne se connaissaient pas, se coudoyaient chaque année pendant trois jours, vivaient en frères, puis repartaient et s’ignoraient le reste du temps. Rien n’était charmant comme de se retrouver dans la charité, de mener ces trois journées communes de grande fatigue, de joie gamine aussi ; et cela tournait un peu à la partie de grands garçons lâchés ensemble, sous un beau ciel, heureux de se dévouer et de rire. Il n’était pas jusqu’à la frugalité de la table, à l’orgueil de s’administrer soi-même, de manger ce qu’on avait acheté et ce qu’on avait fait cuire, qui n’ajoutât à la belle humeur générale.

— Vous voyez, expliqua Gérard, que nous ne sommes pas tristes, malgré le dur métier que nous faisons… L’Hospitalité compte plus de trois cents membres, mais il n’y a guère là que cent cinquante convives, car on a dû organiser deux tables, pour faciliter le service, à la Grotte et dans les hôpitaux.

La vue du petit groupe de visiteurs, resté sur le seuil, semblait avoir redoublé la joie de tous. Et Berthaud, le chef des brancardiers, qui mangeait à un bout de table, se leva galamment pour recevoir ces dames.

— Mais ça sent très bon ! s’écria madame Désagneaux, de son air d’étourdie. Est-ce que vous ne nous invitez pas à goûter votre cuisine, demain ?

— Ah ! non, pas les dames ! répondit Berthaud en riant. Seulement, si ces messieurs voulaient bien être des nôtres demain, ils nous feraient le plus grand plaisir.

D’un coup d’œil, il avait remarqué la bonne intelligence qui régnait entre Gérard et Raymonde ; et il semblait ravi, il souhaitait beaucoup pour son cousin ce mariage.

— N’est-ce pas le marquis de Salmon-Roquebert, demanda la jeune fille, là-bas, entre ces deux jeunes gens, qu’on prendrait pour des garçons de boutique ?