Page:Zola - Les Trois Villes - Lourdes, 1894.djvu/280

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campagne, plus timides, mal vêtus, ayant fait des sacrifices pour venir, marchant par les rues effarés ; enfin, la nuée des ecclésiastiques libres, tombés à Lourdes on ne savait d’où, y jouissant d’une liberté absolue, sans qu’il fût même possible de constater s’ils disaient leur messe chaque matin. Cette liberté devait leur paraître d’une telle douceur, que, certainement, le plus grand nombre, comme l’abbé Des Hermoises, se trouvaient là en vacances, délivrés de tout devoir, heureux de vivre ainsi que de simples hommes, grâce à la cohue dans laquelle ils disparaissaient. Et, depuis le jeune vicaire soigné, sentant bon, jusqu’au vieux curé en soutane sale, traînant des savates, l’espèce entière était représentée, les gros, les gras, les maigres, les grands, les petits, ceux que la foi amenait, brûlant d’ardeur, ceux qui faisaient simplement leur métier en braves gens, ceux encore qui intriguaient, qui ne venaient là que par sage politique. Pierre restait surpris de ce flot de prêtres passant devant lui, chacun avec sa passion particulière, courant tous à la Grotte, comme on va à un devoir, à une croyance, à un plaisir, à une corvée. Il en remarqua un, très petit, mince et noir, au fort accent italien, dont les yeux luisants semblaient lever le plan de Lourdes, pareil à ces espions qui battent le pays avant la conquête ; et il en vit un autre, énorme, à l’air paterne, soufflant d’avoir trop mangé, qui s’arrêta devant une vieille femme malade et finit par lui glisser cent sous dans la main.

M. de Guersaint le rejoignait.

— Nous n’avons qu’à prendre par le boulevard et par la rue Basse, dit-il.

Il le suivit, sans répondre. Lui-même venait de sentir sa soutane sur ses épaules ; et jamais il ne l’avait promenée si légère qu’au milieu de cette bousculade du pèlerinage. Il vivait dans une sorte d’étourdissement et d’inconscience, espérant toujours le coup de foudre de la