Page:Zola - Les Trois Villes - Lourdes, 1894.djvu/283

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— Vous logez des pèlerins ?

— Oh ! monsieur, nous en logeons tous, répondit simplement le coiffeur. C’est le pays qui veut ça.

— Et vous les accompagnez à la Grotte ?

Du coup, Cazaban se révolta, le rasoir en l’air, très digne.

— Jamais, monsieur, jamais ! Voici cinq ans que je ne suis pas descendu dans cette ville nouvelle qu’ils bâtissent.

Il se retenait encore, il regarda de nouveau la soutane de Pierre, disparu derrière le journal ; et la vue de la croix rouge, épinglée sur le veston de M. de Guersaint, le rendait prudent. Mais sa langue l’emporta.

— Écoutez, monsieur, toutes les opinions sont libres, je respecte la vôtre, mais je ne donne pas dans ces fantasmagories, moi ! Et je ne l’ai jamais caché… Sous l’empire, monsieur, j’étais déjà républicain et libre penseur. Nous n’étions pas quatre dans la ville, à cette époque. Oui ! je m’en fais gloire.

Il avait attaqué la joue gauche, il triomphait. Dès ce moment, ce fut un déluge de paroles, intarissable. D’abord, il reprit les accusations de Majesté contre les pères de la Grotte : le trafic sur les objets religieux, la concurrence déloyale faite aux marchands, aux hôteliers et aux loueurs. Ah ! les sœurs bleues de l’Immaculée-Conception, il les avait aussi en grande haine, car elles lui avaient pris deux locataires, deux vieilles dames qui passaient à Lourdes trois semaines par an. Et l’on sentait en lui, surtout, la rancune lentement amassée, aujourd’hui débordante, de la vieille ville contre la ville neuve, cette ville poussée si vite, de l’autre côté du Château, cette riche cité aux maisons grandes comme des palais, où allait toute la vie, tout le luxe, tout l’argent, de sorte qu’elle grandissait et s’enrichissait sans cesse, tandis que l’aînée, l’antique ville pauvre des montagnes, achevait d’agoniser, avec ses petites rues désertes, où l’herbe poussait. La