Page:Zola - Les Trois Villes - Lourdes, 1894.djvu/285

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Cazaban eut un cri ingénu.

— Encore, s’ils étaient gentils, s’ils consentaient à partager !

Puis, lorsque M. de Guersaint, qui se lavait, se fut rassis :

— Et si je vous disais, monsieur, ce qu’ils ont fait de notre pauvre ville ! Les filles y étaient très sages, je vous assure, il y a quarante ans. Je me souviens que, dans ma jeunesse, lorsqu’un garçon voulait rire, il n’y avait pas ici plus de trois ou quatre dévergondées pour le satisfaire ; si bien que, les jours de foire, j’ai vu les hommes faire queue à leur porte, ma parole d’honneur !… Ah bien ! les temps sont changés, les mœurs ne sont plus les mêmes. Maintenant, les filles du pays se livrent presque toutes à la vente des cierges et des bouquets ; et vous les avez vues raccrocher les passants, leur mettre de force leur marchandise dans les mains. C’est une vraie honte que des effrontées pareilles ! Elles gagnent beaucoup, se donnent des habitudes de paresse, ne font plus rien, l’hiver, en attendant le retour de la saison des grands pèlerinages. Et je vous assure que les garçons coureurs trouvent aujourd’hui à qui parler… Ajoutez la population flottante et louche dont nous sommes envahis, dès les premiers beaux jours : les cochers, les camelots, les cantiniers, tout un bas peuple nomade suant la grossièreté et le vice ; et vous aurez l’honnête nouvelle ville qu’ils nous ont faite, avec les foules qui viennent à leur Grotte et à leur Basilique !

Pierre, très frappé, avait laissé tomber son journal. Il écoutait, il avait pour la première fois l’intuition des deux Lourdes, l’ancien Lourdes si honnête, si pieux dans sa tranquille solitude, le nouveau Lourdes gâté, démoralisé par tant de millions remués, tant de richesses provoquées et accrues, par le flot croissant d’étrangers qui traversaient la ville au galop, par la pourriture fatale de l’entassement,