Page:Zola - Les Trois Villes - Lourdes, 1894.djvu/300

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multitude se faisait sentir dans une agitation de l’air, un souffle vivant, venu de loin ; et surtout les voix grossissaient, la complainte de Bernadette s’enflait, avec une clameur de marée montante qui roulait le refrain : « Ave, ave, ave, Maria », dans un bercement rythmique, de plus en plus haut.

— Ah ! ce refrain, murmura Pierre, il vous entre dans la peau. Il me semble que tout mon corps finit par le chanter.

De nouveau, Marie eut son léger rire d’enfant.

— C’est vrai, il me suit partout, je l’entendais en dormant, l’autre nuit. Et, ce soir, il me reprend, il me berce au-dessus de terre.

Elle s’interrompit pour dire :

— Les voilà de l’autre côté de la pelouse, en face de nous.

La procession, alors, suivit la longue allée droite ; puis, après avoir tourné à la Croix des Bretons, autour de la pelouse, elle redescendit par l’autre allée droite. Il fallut plus d’un quart d’heure pour exécuter ce mouvement. Et, à présent, la double ligne dessinait deux longs traits de flammes parallèles, que surmontait une figure de soleil triomphal. Mais le continuel émerveillement, c’était la marche ininterrompue de ce serpent de feu, dont les anneaux d’or rampaient si doucement sur la terre noire, s’allongeaient, s’allongeaient, sans que jamais l’immense corps déployé parût finir. Plusieurs fois, des poussées devaient s’être produites, les lignes fléchissaient, comme près de se rompre ; et l’ordre s’était rétabli, le glissement avait repris, d’une régularité lente. Au ciel, il semblait y avoir moins d’étoiles. Une voie lactée était tombée de là-haut, roulant son poudroiement de mondes, et qui continuait sur la terre la ronde des astres. Une clarté bleue ruisselait, il n’y avait plus que du ciel, les monuments et les arbres prenaient une apparence de rêve, dans