Page:Zola - Les Trois Villes - Lourdes, 1894.djvu/305

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

Elle songeait à sa sœur, restée à Paris, dans le tracas de son dur métier d’institutrice courant le cachet. Et ce simple mot, cette sœur dont elle n’avait pas parlé depuis son arrivée à Lourdes, et qui surgissait là, inattendue, venait de suffire pour évoquer tout le passé.

Marie et Pierre, sans parler, revécurent leur enfance, les jeux d’autrefois, dans les deux jardins mitoyens qu’une haie vive séparait. Ensuite, ce fut la séparation, le jour où il entra au séminaire et où elle le baisa sur les joues, avec des larmes brûlantes, en jurant de ne l’oublier jamais. Des années passaient, et ils se retrouvaient éternellement séparés, lui prêtre, elle clouée par la maladie, n’ayant plus l’espoir d’être femme. C’était toute leur histoire, une tendresse ardente qui s’était longtemps ignorée, puis une rupture totale, comme s’ils fussent morts, bien qu’ils vécussent l’un près de l’autre. Ils revoyaient, maintenant, le logement pauvre, où la sœur aînée, avec ses leçons, tâchait de mettre un peu de bien-être, ce logement pauvre d’où l’on était parti, pour venir à Lourdes, après tant de combats, tant de discussions, ses doutes à lui, sa foi passionnée à elle, qui avait vaincu. Et cela était vraiment délicieux, de se retrouver ainsi ensemble, tout seuls, dans ce coin de ténèbres, par cette admirable nuit, où il y avait, sur la terre, autant d’étoiles qu’au ciel.

Marie, jusque-là, avait gardé une petite âme d’enfant, une âme blanche, comme disait son père, la meilleure et la plus pure. Frappée par le mal dès l’âge de treize ans, elle n’avait plus vieilli. Aujourd’hui, à vingt-trois ans, elle avait treize ans toujours, restée enfantine, repliée sur elle-même, toute à la catastrophe qui l’anéantissait. Cela se voyait à ses yeux vides, à son expression d’absence, à son air de continuelle hantise, dans l’incapacité où elle était de vouloir autre chose. Et aucune âme de femme n’était plus simple, arrêtée en son développement,