Page:Zola - Les Trois Villes - Lourdes, 1894.djvu/338

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

tâchait ensuite de rompre l’entretien, n’aimant pas à parler de ces choses. Lorsqu’on voulait pousser plus avant, qu’on lui demandait la nature des trois secrets dont elle avait reçu la divine confidence, elle se taisait, détournait les yeux. Et il était impossible de la mettre en contradiction avec elle-même, toujours les détails qu’elle donnait demeuraient conformes à sa version première, elle semblait en être venue à répéter strictement les mêmes mots, avec les mêmes sons de voix.

— Je l’ai tenue pendant toute une après-midi, continua le docteur, et elle n’a pas varié d’une syllabe. C’était déconcertant… Je jure bien qu’elle ne mentait pas, qu’elle n’a jamais menti, incapable de mensonge.

Pierre osa discuter.

— Mais, docteur, ne croyez-vous pas à une maladie possible de la volonté ? N’est-il pas acquis, aujourd’hui, que certaines dégénérées, les enfantines, frappées d’un rêve, d’une hallucination, d’une imagination quelconque, ne peuvent s’en dégager, surtout lorsqu’elles sont maintenues dans le milieu où le phénomène s’est produit ?… Bernadette cloîtrée, Bernadette ne vivant qu’avec son idée fixe, s’y entêtait naturellement.

Le docteur retrouva son faible sourire, et avec un grand geste vague :

— Ah ! mon enfant, vous m’en demandez trop long ! Vous savez que je ne suis plus qu’un pauvre vieil homme, très peu fier de sa science, et qui n’a plus la prétention de rien expliquer… Oui, je connais le fameux exemple de clinique, la jeune fille qui se laissait mourir de faim chez ses parents, en se croyant atteinte d’une grave maladie de l’estomac, et qui mangea, lorsqu’on l’eut déplacée… Seulement, que voulez-vous ? ce n’est qu’un fait, et il y a tant d’autres faits contradictoires !

Un instant, ils se turent. On n’entendait, sur la route, que le bruit cadencé de leurs pas. Puis, le docteur reprit :