Page:Zola - Les Trois Villes - Lourdes, 1894.djvu/423

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Saint-Sacrement très haut, de ses deux mains engourdies, avec la peur qu’une poussée dernière ne le renversât ; car il sentait bien que l’ostensoir d’or, rayonnant de soleil, était la passion de tout ce peuple, le Dieu qu’on exigeait pour le baiser, pour se perdre en lui, quitte à l’anéantir. Alors, immobilisé, il tourna vers Berthaud des regards inquiets.

— Ne laissez passer personne ! criait celui-ci aux brancardiers, personne ! l’ordre est formel, entendez-vous !

Mais des voix suppliantes s’élevaient, des misérables sanglotaient, les bras tendus, les lèvres tendues, avec le désir fou qu’on les laissât s’approcher et s’agenouiller aux pieds du prêtre. Quelle grâce, d’être jeté à terre, d’être foulé, piétiné par toute la procession ! Un infirme montrait sa main desséchée, convaincu qu’elle allait refleurir au bout de son bras, si on lui permettait de toucher l’ostensoir. Une muette poussait de ses fortes épaules, rageusement, pour délier sa langue dans un baiser. D’autres, d’autres encore criaient, imploraient, finissaient par serrer les poings, contre les cruels qui refusaient la guérison aux souffrances de leur corps, aux misères de leur âme. La consigne était absolue, on redoutait les accidents les plus graves.

— Personne, personne ! répétait Berthaud, ne laissez passer personne !

Cependant, il y avait là une femme, dont la vue touchait tous les cœurs. Misérablement vêtue, elle était nu-tête, le visage en larmes, et elle tenait sur les bras un petit garçon d’une dizaine d’années, dont les deux jambes, paralysées et molles, pendaient. C’était un poids trop lourd pour sa faiblesse ; mais elle ne paraissait pas le sentir. Elle avait apporté son garçon, elle conjurait les brancardiers, avec un entêtement sourd, dont ni les paroles ni les bousculades ne triomphaient.

D’un signe, enfin, l’abbé Judaine, très ému, l’appela.