Page:Zola - Les Trois Villes - Lourdes, 1894.djvu/480

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vous m’avez aperçue une fois, derrière la Trinité, avec une personne. Et, l’autre jour, ici, vous m’avez reconnue, sur le balcon. N’est-ce pas ? vous vous doutiez que je vivais là, près de vous, cachée avec cette personne, dans cette chambre… Seulement, si vous saviez, si vous saviez !

Ses lèvres frémissaient, des larmes montaient à ses paupières. Il la regardait, et il restait surpris de l’extraordinaire beauté qui transfigurait son visage. Cette femme, toujours en noir, très simple, sans un bijou, lui apparaissait dans un éclat de sa passion, hors de l’ombre où elle s’effaçait, s’éteignait d’habitude. Elle qui n’était point jolie au premier aspect, trop brune, trop mince, les traits tirés, la bouche grande, le nez long, prenait, à mesure qu’il l’examinait, un charme troublant, une puissance de conquête irrésistible. Ses yeux surtout, ses larges yeux magnifiques, dont elle cachait d’ordinaire le brasier sous un voile d’indifférence, brûlaient comme des torches, aux heures où elle s’abandonnait toute. Il comprit qu’on l’adorât, qu’on pût la désirer à en mourir.

— Si vous saviez, monsieur l’abbé, si je vous racontais ce que j’ai souffert !… Ce sont des choses que vous avez soupçonnées sans doute, puisque vous connaissez ma belle-mère et mon mari. Les rares fois que vous êtes venu chez nous, vous n’êtes pas sans avoir compris les abominations qui s’y passaient, malgré mon air d’être toujours contente, dans mon petit coin de silence et d’effacement… Mais vivre ainsi dix ans, mais ne jamais être, ne jamais aimer, ne jamais être aimée, non, non, je n’ai pas pu !

Alors, elle conta la douloureuse histoire, son mariage avec le marchand de diamants, désastreux dans son apparent coup de fortune, sa belle-mère une âme dure de bourreau et de geôlier, son mari un monstre de laideur physique, de vilenie morale. On l’emprisonnait, on ne la