Page:Zola - Les Trois Villes - Lourdes, 1894.djvu/535

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les yeux rougis, écrasés par la perte de leur dernier espoir, la suivaient avec l’abbé Judaine, comme on suit un corps au cimetière.

— Non, non ! pas tout de suite ! dit le prêtre aux porteurs, en les empêchant de la monter. Elle a le temps de rouler là dedans. Qu’elle garde au moins sur elle la douceur de ce beau ciel, jusqu’à la dernière minute !

Puis, voyant Pierre près de lui, il l’emmena à quelques pas, reprit, la voix brisée de chagrin :

— Ah ! je suis navré… Ce matin encore, j’espérais. Je l’ai fait porter à la Grotte, j’ai dit ma messe pour elle, je suis revenu prier jusqu’à onze heures. Et rien, la sainte Vierge ne m’a pas entendu… Moi qu’elle a guéri, moi un pauvre vieil homme inutile, je n’ai pu obtenir d’elle la guérison de cette femme si belle, si jeune, si riche, dont la vie devrait être une continuelle fête !… Certes, la sainte Vierge sait mieux que nous autres ce qu’elle doit faire, et je m’incline, je bénis son nom. Mais, en vérité, mon âme est pleine d’une tristesse affreuse.

Il ne disait pas tout, il n’avouait pas la pensée qui le bouleversait ainsi, dans sa simplicité de brave homme enfant, que jamais n’avaient visité la passion ni le doute. C’était que ces pauvres gens qui pleuraient, le mari, la sœur, avaient trop de millions ; c’était qu’ils avaient apporté de trop beaux cadeaux, qu’ils avaient donné trop d’argent à la Basilique. On n’achète pas le miracle, les richesses de ce monde nuisent plutôt, devant Dieu. Sûrement, la sainte Vierge n’était restée sourde pour eux, ne leur avait montré un cœur froid et sévère, que pour mieux écouter la voix faible des misérables venus à elle les mains vides, riches de leur seul amour, les comblant ceux-là de sa grâce, les inondant de sa tendresse brûlante de Mère divine. Et ces pauvres riches inexaucés, cette sœur, ce mari si malheureux près du triste corps qu’ils remportaient, ils se sentaient eux-mêmes des parias, au milieu de