Page:Zola - Les Trois Villes - Lourdes, 1894.djvu/586

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sur un lit de douleur, elle s’écriait : « Il me semble que j’étais faite pour vivre, pour agir, pour toujours remuer, et le Seigneur me veut immobile. » Quelle parole révélatrice, d’un témoignage terrible, d’une tristesse immense ! Pourquoi donc le Seigneur la voulait-il immobile, cette chère créature de gaieté et de grâce ? Ne l’aurait-elle pas honoré autant, en vivant la vie libre, la vie saine, qu’elle était née pour vivre ? Et, au lieu de prier pour les pécheurs, sa continuelle et vaine occupation, n’aurait-elle pas travaillé davantage à accroître le bonheur du monde et le sien, si elle avait donné sa part d’amour au mari qui l’attendait, aux enfants qui seraient nés de sa chair ? Certains soirs, dit-on, elle si gaie, si agissante, tombait à un grand accablement. Elle devenait sombre, se repliait sur elle-même, comme anéantie par l’excès de la douleur. Sans doute, le calice finissait par être trop amer, elle entrait en agonie, à l’idée du continuel renoncement de son existence.

À Saint-Gildard, Bernadette songeait-elle souvent à Lourdes ? Que savait-elle du triomphe de la Grotte, des prodiges qui, journellement, transformaient cette terre du miracle ? La question ne fut jamais résolue nettement. On avait défendu à ses compagnes de l’entretenir de ces choses, on l’entourait d’un absolu et continuel silence. Elle-même n’aimait point à en parler, se taisait sur le passé mystérieux, ne semblait aucunement désireuse de connaître le présent, si triomphal qu’il pût être. Mais, pourtant, son cœur n’y volait-il pas, en imagination, à ce pays enchanté de son enfance, où vivaient les siens, où tous les liens de sa vie s’étaient noués, où elle avait laissé le rêve le plus extraordinaire qu’une créature eût jamais fait ? Sûrement, elle refit souvent en pensée le beau voyage de ses souvenirs, elle dut connaître, en gros, tous les grands événements de Lourdes. Ce qui la terrifiait, c’était de s’y rendre en personne, et elle s’y refusa toujours,