Page:Zola - Les Trois Villes - Lourdes, 1894.djvu/594

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mère. Décréter que la femme n’est digne d’un culte qu’à la condition d’être vierge, en imaginer une qui reste vierge en devenant mère, qui elle-même est née sans tache, n’est-ce pas la nature bafouée, la vie condamnée, la femme niée, jetée à la perversion, elle qui n’est grande que fécondée, perpétuant la vie ? « Va-t’en, va-t’en, Satan ! laisse-moi mourir stérile. » Et elle chassait le soleil de la salle, et elle chassait l’air libre entrant par la fenêtre, l’air embaumé d’une odeur de fleurs, chargé des germes errants qui charrient l’amour à travers le vaste monde.

Le mercredi de Pâques, le 16 avril, l’agonie dernière commença. On raconte que, le matin de ce jour, une compagne de Bernadette, une religieuse atteinte d’une maladie mortelle, couchée à l’infirmerie, dans un lit voisin, fut subitement guérie, après avoir bu un verre d’eau de Lourdes. Mais elle, privilégiée, en avait bu inutilement. Dieu lui faisait enfin l’insigne faveur de combler ses vœux, en l’endormant du bon sommeil de la terre, où l’on ne souffre plus. Elle demanda pardon à tout le monde. Sa passion était consommée, elle avait, comme le Sauveur, les clous et la couronne d’épines, les membres flagellés, le flanc ouvert. Comme lui, elle leva les yeux au ciel, elle étendit les bras en croix, en jetant un grand cri : « Mon Dieu ! » Et, comme lui, vers trois heures, elle dit : « J’ai soif. » Elle trempa les lèvres dans le verre, elle pencha la tête, et mourut.

Ainsi mourut, très glorieuse et très sainte, la voyante de Lourdes, Bernadette Soubirous, sœur Marie-Bernard, des Sœurs de la charité de Nevers. Son corps resta exposé pendant trois jours, et des foules énormes défilèrent, tout un peuple accouru, l’interminable queue des dévots affamés d’espoir qui frottaient à la robe de la morte des médailles, des chapelets, des images, des livres de messe, pour tirer d’elle encore une grâce, un fétiche portant