Page:Zola - Les Trois Villes - Lourdes, 1894.djvu/65

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rouge des dames hospitalières sur son corsage noir. Il la connaissait, il faisait encore de rares visites à la vieille madame Volmar, la mère du marchand de diamants, une ancienne connaissance de sa mère à lui : la plus terrible des femmes, d’une religion outrée, d’une dureté, d’une sévérité à fermer les persiennes pour que sa belle-fille ne regardât pas dans la rue. Et il savait l’histoire, la jeune femme emprisonnée dès le lendemain du mariage, entre sa belle-mère qui la terrorisait, et son mari, un monstre d’une laideur basse, qui allait jusqu’à la battre, fou de jalousie, bien qu’il entretînt des filles au dehors. On ne la laissait sortir un instant que pour assister à la messe. Pierre, un jour, à la Trinité, avait même surpris son secret, en la voyant, derrière l’église, échanger une parole rapide avec un monsieur correct, l’air distingué : la chute inévitable et si pardonnable, la faute aux bras de l’ami discret qui s’est trouvé là, la passion cachée et dévorante, qu’on ne peut satisfaire et qui brûle, le rendez-vous qu’on a eu tant de peine à rendre possible, qu’il faut attendre des semaines, dont on profite goulûment, dans une brusque flambée de désir.

Elle s’était troublée, elle lui tendit sa petite main longue et tiède.

— Tiens ! quelle rencontre ! monsieur l’abbé… Il y a si longtemps qu’on ne s’est vu !

Et elle expliqua que c’était la troisième année qu’elle allait à Lourdes, que sa belle-mère l’avait forcée à faire partie de l’Association de Notre-Dame de Salut.

— C’est surprenant que vous ne l’ayez pas aperçue, à la gare. Elle me met dans le train, et elle revient me chercher, au retour.

Cela était dit très simplement, mais avec une telle pointe de sourde ironie, que Pierre crut deviner. Il la savait sans religion aucune, ne pratiquant que pour s’assurer une heure de liberté, de temps à autre ; et il eut la soudaine