Page:Zola - Les Trois Villes - Paris, 1898.djvu/252

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trouvait ça ridicule. Puis, vexé de la voir si peu énergique devant sa gale de sœur, comme il nommait celle-ci, il haussa les épaules, les abandonnant toutes les deux à leur bêtise, se décidant à emmener les autres. On entendit les rires de Rosemonde qui s’éloignait, tandis que le général descendait avec madame Fonsègue, à laquelle il racontait une nouvelle histoire. Mais, à ce moment, quand la mère et la fille se crurent seules, des voix encore vinrent à leurs oreilles, les voix toutes voisines de Duvillard et de Fonsègue. Le père était toujours là, qui pouvait les entendre.

Ève sentit qu’elle aurait dû quitter la place. Et elle n’en trouvait pas la force, c’était impossible sur le mot qui l’avait frappée comme d’un soufflet, dans la détresse où la jetait la crainte de perdre son amant.

— Gérard ne peut t’épouser, il ne t’aime pas.

— Il m’aime.

— Tu t’imagines qu’il t’aime parce qu’il s’est montré bon pour toi, par gentillesse, en te voyant délaissée… Il ne t’aime pas.

— Il m’aime… Il m’aime, parce que d’abord je ne suis pas une bête, comme tant d’autres, et il m’aime surtout parce que je suis jeune.

C’était une blessure nouvelle, faite avec une cruauté moqueuse, où sonnait la joie triomphante de voir enfin se mûrir et se faner cette beauté dont elle avait tant souffert.

— La jeunesse, ah ! vois-tu, ma pauvre maman, tu ne sais plus ce que c’est… Si je ne suis pas belle, je suis jeune, je sens bon, j’ai des yeux purs, des lèvres fraîches. Et tout de même j’ai tant de cheveux, et si longs, qu’ils suffiraient à m’habiller, si je voulais… Va, on n’est jamais laide, quand on est jeune. Tandis que, lorsqu’on n’est plus jeune, ma pauvre maman, va, c’est bien fini. On a beau avoir été belle, s’entêter à l’être encore,