Page:Zola - Les Trois Villes - Paris, 1898.djvu/289

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Et c’était le quartier entier, les maisons borgnes aux alentours, les garnis ignobles, les misérables chambres de débauche, sans vitres à la fenêtre, sans draps au matelas. La nausée de toute la déchéance humaine qui grouille, jusqu’au matin, dans cette boue noire de Paris, les enveloppait, les glaçait, sans que ni le baron, ni les deux autres voulussent quitter la place. Leur espoir entêté les faisait tenir bon, chacun continuait à se promettre qu’il resterait le dernier, et qu’il reconduirait Silviane, et qu’elle serait à lui, trop grise pour se défendre.

Enfin, Duvillard s’impatienta, dit au cocher :

— Jules, allez donc voir pourquoi Madame ne revient pas.

— Mais les chevaux, monsieur le baron ?

— Soyez tranquille, nous sommes là.

Une petite pluie fine s’était mise à tomber. Et l’attente recommença, s’éternisa de nouveau. Mais une rencontre imprévue les occupa un instant. Il leur sembla qu’une ombre, une maigre femme en jupe noire, les frôlait. Et ils eurent la surprise de reconnaître un prêtre.

— Eh quoi ! c’est vous, monsieur l’abbé Froment ? s’écria Gérard. À cette heure-ci ? Dans ce quartier ?

Pierre, sans se permettre de s’étonner de les y trouver eux-mêmes, et sans leur demander ce qu’ils y faisaient, expliqua qu’il s’était attardé chez l’abbé Rose, pour visiter avec lui une hospitalité de nuit. Ah ! toute l’affreuse misère qui aboutissait là, dans ces dortoirs empestés, dont l’odeur de bétail l’avait fait défaillir ! tout ce qui s’anéantissait là de lassitude et de désespoir, en un sommeil écrasé de bêtes tombées sur le sol, pour y cuver l’abomination de vivre ! Une promiscuité innommable, l’indigence et la souffrance en tas, des enfants, des hommes, des vieillards, des haillons sordides de mendiants mêlés à des redingotes élimées de pauvres honteux, les épaves du naufrage quo-