Page:Zola - Les Trois Villes - Paris, 1898.djvu/320

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enrubannées, portant des poupons en pelisses de dentelle, toute la haute élégance du Bois, tout le mouvement mondain des jours choisis, où les petites gens n’y viennent point. À peine quelques bourgeoises des quartiers voisins étaient-elles sur les bancs et dans les fourrés, une broderie aux doigts, à regarder jouer leurs enfants.

Pierre et Guillaume gagnèrent l’allée de Longchamp, qu’ils suivirent jusqu’à la route de Madrid aux Lacs. Là, ils s’enfoncèrent parmi les arbres, ils descendirent le cours du petit ruisseau de Longchamp. Leur projet était de gagner les lacs, d’en faire le tour, puis de revenir par la porte Maillot. Mais le taillis qu’ils traversaient était d’une solitude si calme et si charmante, dans cette enfance du printemps, qu’ils cédèrent au désir de s’asseoir, pour goûter le délicieux repos. Un tronc d’arbre leur servit de banc, ils purent se croire très loin, au fond d’une forêt véritable. Et Guillaume en faisait le rêve, de cette vraie forêt, au sortir de son long emprisonnement volontaire. Ah ! le libre espace, l’air sain qui souffle dans les branches, tout le vaste monde qui devrait être le domaine inaliénable de l’homme ! Le nom de Barthès, de l’éternel prisonnier, revint sur ses lèvres. Il soupira, repris de tristesse. Le tourment d’un seul, frappé sans cesse dans sa liberté, suffisait à lui gâter ce grand air pur, si doux à respirer.

— Que lui diras-tu ? Il faut pourtant le prévenir. L’exil vaut mieux encore que la prison.

Pierre eut un vague geste désolé.

— Oui, oui, je le préviendrai. Mais quel crève-cœur !

À ce moment, dans ce coin sauvage et désert, où ils pouvaient se croire au bout du monde, ils eurent une extraordinaire vision. Brusquement, sautant d’un fourré, un homme parut, galopa devant eux. Et c’était sûrement un homme, mais si méconnaissable, si couvert de boue, dans un tel état d’effroyable détresse, qu’on aurait pu le