Page:Zola - Les Trois Villes - Paris, 1898.djvu/371

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mit les mains sur les épaules, le regarda longuement, en lui disant d’une voix un peu tremblante :

— Je suis contente, très contente de vous revoir, Guillaume… Maintenant, je puis le dire, j’ai cru vous perdre, j’ai été très inquiète et très malheureuse.

Et, bien qu’elle continuât de rire, deux larmes parurent dans ses yeux, pendant que lui, très ému aussi, murmurait, en l’embrassant de nouveau :

— Chère Marie… Combien je suis heureux ! Je vous retrouve, et si belle, si tendre toujours !

Pierre, qui les regardait, les trouva froids. Il s’était sans doute attendu à plus de larmes, à une étreinte plus passionnée, entre deux fiancés qu’un accident avait séparés si longtemps, à la veille de leur mariage. La disproportion des âges aussi le blessa, bien que son frère lui parût solide et très jeune encore. Ce devait être cette jeune fille qui, décidément, ne lui plaisait guère. Elle était trop bien portante, trop calme. Depuis qu’elle se trouvait là, il sentait augmenter son malaise, son envie de s’en aller et de ne point revenir. Cette sensation de différer d’elle, d’être chez son frère un étranger, devenait en lui une véritable souffrance.

Il se leva, voulut partir, en prétextant une course dans Paris.

— Comment ! tu ne restes pas à déjeuner avec nous ? s’écria Guillaume, stupéfait. Mais c’était convenu, tu ne vas pas me faire ce chagrin… Maintenant, petit frère, cette maison est la tienne.

Et, tous se récriant, le suppliant, avec une affection véritable, il fut bien forcé de rester et de reprendre sa chaise, où il retomba dans sa gêne silencieuse, regardant, écoutant cette famille qui était la sienne et qu’il sentait si loin de lui.

Onze heures sonnaient à peine. Le travail continua, coupé de gaies causeries, lorsque l’une des deux bonnes