Page:Zola - Les Trois Villes - Paris, 1898.djvu/542

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qu’il y en avait beaucoup de pareils, que les meilleurs, les plus intelligents en avaient assez de la misère, du travail qui ne nourrit pas son homme, et qu’ils finiraient par tout chambarder, plutôt que de vieillir sans être sûrs de manger du pain jusqu’au bout.

— Ah ! les fils ne ressemblent guère aux pères, ces gaillards-là n’auront pas la patience de mon pauvre vieux Toussaint, qui s’est laissé manger la peau et les os, jusqu’à n’être plus que la triste chose que vous voyez là… Savez-vous ce que Charles a dit, lorsque, l’autre soir, il a trouvé son père sur cette chaise, sans bras ni jambes, la langue morte ? Il s’est fâché, il lui a crié qu’il avait, sa vie entière, été une foutue bête, de s’exterminer pour les bourgeois, qui ne lui apporteraient pas, aujourd’hui, un verre d’eau… Puis, comme il n’est pas méchant, au fond, il a pleuré ensuite toutes les larmes de son corps.

L’enfant ne criait plus, elle allait et venait toujours, le berçant, le serrant contre son cœur de bonne grand’mère. Son fils Charles ne pourrait rien faire pour eux ; peut-être une pièce de cent sous, de temps à autre ; et encore. Elle, rouillée, n’essaierait pas de se remettre à son ancien métier de lingère. D’ailleurs, tenter même de trouver des ménages devenait difficile, avec ce marmot sur les bras, et avec l’autre, le grand enfant, l’infirme, qu’elle devait nettoyer et faire manger. Quoi, alors ? qu’allaient-ils devenir tous les trois ? Elle ne savait point, elle en avait le frisson, toute maternelle et brave qu’elle voulût paraître.

Et Pierre et Thomas se sentirent l’âme bouleversée de pitié, lorsque, dans la triste chambre de travail et de misère, si propre encore, ils virent, sur les joues de Toussaint foudroyé, immobile, rouler de grosses larmes. Il avait écouté sa femme, il la regardait, il regardait le pauvre petit être endormi entre ses bras ; et, désormais