Page:Zola - Les Trois Villes - Paris, 1898.djvu/576

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-même. Et, peu à peu, il fut envahi d’une colère sombre.

— Écoute, c’est assez, Pierre, l’heure presse… Une dernière fois, va-t-en ! Je te l’ordonne, je le veux.

— Guillaume, je ne t’obéirai pas… Je reste, et c’est bien simple, puisque toute ma raison ne peut t’arracher à ta démence, mets donc le feu à cette mine, et je mourrai avec toi.

— Toi, mourir ! tu n’en as pas le droit, tu n’es pas libre.

— Libre ou non, je te jure que je vais mourir avec toi… Et, s’il ne s’agit que de jeter cette bougie dans ce trou, dis-le, je la prendrai, je la jetterai moi-même.

Il avait eu un geste, son frère le crut prêt à exécuter sa menace. Il lui saisit violemment le bras.

— Pourquoi mourrais-tu ? Ce serait absurde. Que d’autres meurent, mais toi ! à quoi bon cette monstruosité de plus ? Tu cherches à m’attendrir, tu me retournes le cœur.

Puis, tout d’un coup, il crut à une feinte, il gronda, furieux :

— Ce n’est pas pour la jeter là, que tu veux prendre la bougie, c’est pour l’éteindre. Ensuite, tu crois que je ne pourrai plus… Ah ! mauvais frère !

À son tour, Pierre cria :

— Certes, par tous les moyens, je t’empêcherai d’accomplir l’acte effroyable, imbécile.

— Tu m’empêcheras…

— Oui, je m’attacherai à toi, je nouerai mes bras à tes épaules, je paralyserai tes mains entre les miennes.

— Tu m’empêcheras, misérable frère, tu crois que tu m’empêcheras !

Et, suffoquant, tremblant de rage, Guillaume avait saisi Pierre, lui écrasait les côtes de ses muscles solides. Ils étaient serrés l’un contre l’autre, les yeux sur les yeux, les haleines confondues, dans cette sorte de cachot