Page:Zola - Les Trois Villes - Rome, 1896.djvu/113

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temps des idées ardemment patriotiques. On racontait qu’il avait failli prendre les armes avec Garibaldi ; et, le jour où les Italiens étaient entrés dans Rome, on avait dû l’empêcher de planter sur son toit le drapeau de l’unité italienne. C’était son rêve passionné, Rome maîtresse du monde, lorsque le pape et le roi, après s’être embrassés, feraient cause commune. Pour le cardinal, il y avait là un révolutionnaire dangereux, un prêtre renégat mettant le catholicisme en péril.

— Oh, ce que Votre Eminence peut faire pour moi ! ce qu’elle peut faire, si elle le daigne ! répétait Santobono d’une voix brûlante, en joignant ses grosses mains noueuses.

Puis, se ravisant :

— Est-ce que Son Éminence le cardinal Sanguinetti n’a pas dit un mot de mon affaire à Votre Éminence Révérendissime ?

— Non, le cardinal m’a simplement prévenu de votre visite, en me disant que vous aviez quelque chose à me demander.

Et Boccanera, le visage assombri, attendit avec une sévérité plus grande. Il n’ignorait pas que le prêtre était devenu le client de Sanguinetti, depuis que ce dernier, nommé évêque suburbicaire, passait à Frascati de longues semaines. Tout cardinal, candidat à la papauté, a de la sorte, dans son ombre, des familiers infimes qui jouent l’ambition de leur vie sur son élection possible : s’il est pape un jour, si eux-mêmes l’aident à le devenir, ils entreront à sa suite dans la grande famille pontificale. On racontait que Sanguinetti avait déjà tiré Santobono d’une mauvaise histoire, un enfant maraudeur que celui-ci avait surpris en train d’escalader son mur, et qui était mort des suites d’une correction trop rude. Mais, à la louange du prêtre, il fallait pourtant ajouter que, dans son dévouement fanatique au cardinal, il entrait surtout l’espoir qu’il serait le pape