Page:Zola - Les Trois Villes - Rome, 1896.djvu/142

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pour s’excuser de ne pas avoir ouvert plus vite, qu’il était en train d’arranger les jambes de son maître. Tout de suite il annonça le visiteur. Et celui-ci, après une obscure antichambre, très étroite, resta saisi de la pièce dans laquelle il entrait, une pièce relativement petite, toute nue, toute blanche, tapissée simplement d’un papier tendre à fleurettes bleues. Derrière un paravent, il n’y avait qu’un lit de fer, la couche du soldat ; et aucun autre meuble, rien que le fauteuil où l’infirme passait ses jours, une table de bois noir près de lui, couverte de journaux et de livres, deux antiques chaises de paille qui servaient à faire asseoir les rares visiteurs. Contre un des murs, quelques planches tenaient lieu de bibliothèque. Mais la fenêtre, sans rideaux, large et claire, ouvrait sur le plus admirable panorama de Rome qu’on pût voir.

Puis, la chambre disparut, Pierre ne vit plus que le vieil Orlando, dans une soudaine et profonde émotion. C’était un vieux lion blanchi, superbe encore, très fort, très grand. Une forêt de cheveux blancs, sur une tête puissante, à la bouche épaisse, au nez gros et écrasé, aux larges yeux noirs étincelants. Une longue barbe blanche, d’une vigueur de jeunesse, frisée comme celle d’un dieu. Dans ce mufle léonin, on devinait les terribles passions qui avaient dû gronder ; mais toutes, les charnelles, les intellectuelles, avaient fait éruption en patriotisme, en bravoure folle et en désordonné amour de l’Indépendance. Et le vieil héros foudroyé, le buste toujours droit et haut, était cloué là, sur son fauteuil de paille, les jambes mortes, ensevelies, disparues dans une couverture noire. Seuls, les bras, les mains vivaient ; et seule, la face éclatait de force et d’intelligence.

Orlando s’était tourné vers son serviteur, pour lui dire doucement :

— Batista, tu peux t’en aller. Reviens dans deux heures.