Page:Zola - Les Trois Villes - Rome, 1896.djvu/185

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civilisation, depuis l’empereur et sa cour jusqu’à la houle de la plèbe, dans l’agitation et l’éclat de tout un peuple enflammé de passion, sous le rouge reflet du gigantesque vélum de pourpre. Puis, c’était aussi, plus loin, à l’horizon, une autre ruine cyclopéenne, les thermes de Caracalla, laissée là de même comme le vestige d’une race de géants, disparue de la terre : des salles d’une ampleur, d’une hauteur extravagantes et inexplicables ; deux vestibules à recevoir la population d’une ville ; un frigidarium où la piscine pouvait contenir à la fois cinq cents baigneurs ; un tepidarium, un caldarium d’égale taille, nés de la folie de l’énorme ; et la masse effroyable du monument, l’épaisseur des massifs, telle qu’aucun château fort n’en a connu de pareille ; et toute cette immensité où les visiteurs qui passent ont l’air de fourmis égarées, une si extraordinaire débauche de ciment et de briques, qu’on se demande pour quels hommes, pour quelles foules ce monstrueux édifice a pu être bâti. On dirait aujourd’hui des rochers frustes, des matériaux abattus de quelque sommet, entassés là, pour la construction d’une demeure de titans.

Et Pierre était envahi par ce passé démesuré où il baignait. De toutes parts, des quatre points de l’horizon vaste, l’Histoire ressuscitait, montait vers lui, en un flot débordant. Au nord et à l’ouest, ces plaines bleuâtres, à l’infini, c’était l’Étrurie antique ; les montagnes de la Sabine découpaient à l’est leurs crêtes dentelées ; tandis que, vers le sud, les monts Albains et le Latium s’élargissaient dans la pluie d’or du soleil ; et Albe la Longue était là, ainsi que le mont Cave, couronné de chênes, avec son couvent qui a remplacé le vieux temple de Jupiter. Puis, à ses pieds, au delà du Forum, au delà du Capitole, Rome elle-même s’étendait, l’Esquilin en face, le Cœlius et l’Aventin à sa droite, les autres qu’il ne pouvait voir, le Quirinal, le Viminal, à sa gauche. Derrière, au bord du Tibre, était le Janicule.