Page:Zola - Les Trois Villes - Rome, 1896.djvu/190

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des autres, le palais de Septime Sévère, une bâtisse d’orgueil encore, des arches qui supportaient des salles hautes, des étages qui s’élevaient sur des terrasses, des tours qui dominaient les toitures, tout un entassement babylonien, dressé là, à la pointe extrême du mont, en face de la voie Appienne, pour que, disait-on, les compatriotes de l’empereur, les provinciaux venus d’Afrique où il était né, pussent, dès l’horizon, s’émerveiller de sa fortune et l’adorer dans sa gloire.

Et, maintenant, Pierre les voyait debout et resplendissants, Pierre les avait devant lui, autour de lui, tous ces palais évoqués, ressuscités au grand soleil. Ils étaient comme soudés les uns aux autres, quelques-uns à peine séparés par des passages étroits. Dans le désir de ne pas perdre un pouce du terrain, sur ce sommet sacré, ils avaient poussé en une masse compacte, ainsi qu’une monstrueuse floraison de la force, de la puissance et de l’orgueil déréglés se satisfaisant à coups de millions, saignant le monde pour la jouissance d’un seul ; et, à la vérité, il n’y avait là qu’un palais unique, sans cesse agrandi, à mesure que l’empereur défunt passait dieu et que le nouvel empereur, désertant la demeure consacrée, devenue temple, où l’ombre du mort l’épouvantait peut-être, éprouvait l’impérieux besoin de se bâtir sa maison à lui, de tailler dans l’éternité de la pierre l’indestructible souvenir de son règne. Tous avaient eu cette fureur de la construction, elle semblait tenir au sol, au trône qu’ils occupaient, elle renaissait chez chacun d’eux, avec une intensité grandissante, les dévorant du besoin de lutter, de se surpasser par des murs plus épais et plus hauts, par des amas plus extraordinaires de marbres, de colonnes, de statues. Et la pensée de survie glorieuse était la même chez tous, laisser aux générations stupéfaites le témoignage de leur grandeur, se perpétuer dans des merveilles qui ne devaient pas périr, peser à jamais sur la terre de tout le poids de ces colosses, lorsque le vent aurait emporté