Page:Zola - Les Trois Villes - Rome, 1896.djvu/204

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Et Pierre suivait toujours, et une transformation profonde se passait en lui. Peu à peu, à mesure qu’il voyait et comprenait, sa stupeur première de trouver la réalité si différente de l’embellissement des conteurs et des poètes, sa désillusion de tomber dans ces trous de taupe, si pauvrement, si grossièrement creusés au fond de cette terre rougeâtre, se changeaient en une émotion fraternelle, en un attendrissement qui lui bouleversait le cœur. Et ce n’était pas la pensée des quinze cents martyrs, dont les os sacrés avaient reposé là. Mais quelle humanité douce, résignée et bercée d’espérance dans la mort ! Pour les chrétiens, ces basses galeries obscures n’étaient qu’un lieu temporaire de sommeil. S’ils ne brûlaient pas les corps, comme les païens, s’ils les enterraient, c’était qu’ils avaient pris aux Juifs leur croyance à la résurrection de la chair ; et cette idée heureuse de sommeil, de bon repos après une vie juste, en attendant les récompenses célestes, faisait la paix immense, le charme infini de la profonde cité souterraine. Tout y parlait de nuit noire et silencieuse, tout y dormait en une immobilité ravie, tout y patientait jusqu’au lointain réveil. Quoi de plus touchant que ces plaques de terre cuite ou de marbre, ne portant pas même un nom, uniquement gravées des mots in pace, en paix ! Être en paix enfin, dormir en paix, espérer en paix le ciel futur, après la tâche faite ! Et cette paix, elle paraissait d’autant plus délicieuse, qu’elle était goûtée dans une parfaite humilité. Sans doute, tout art avait disparu, les fossoyeurs creusaient au hasard, avec des irrégularités d’ouvriers maladroits, les artistes ne savaient plus graver un nom, ni sculpter une palme ou une colombe. Seulement, quelle voix de jeune humanité s’élevait de cette pauvreté et de cette ignorance ! Des pauvres, des petits, des simples, le peuple pullulant couché, endormi sous la terre, pendant que le soleil, là-haut, continuait son œuvre. Une charité, une fraternité dans la mort : l’époux et l’épouse souvent couchés ensemble, avec l’enfant à leurs