Page:Zola - Les Trois Villes - Rome, 1896.djvu/223

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du désir que certains de ses collègues, les cardinaux, avaient de lui être désagréables. Lui-même souhaitait le divorce, qui seul devait assurer la continuation de la race, puisque Dario s’entêtait à ne vouloir épouser que sa cousine. Et c’était un concours de désastres, toute la famille atteinte, lui frappé dans son orgueil, sa sœur partageant cette souffrance et blessée par contre-coup au cœur, les deux amoureux désespérés de voir leur espérance reculée une fois encore.

Quand Pierre s’approcha du canapé, où causaient les jeunes gens, il entendit bien qu’on ne parlait que de la catastrophe, à demi-voix.

— Pourquoi vous désoler ? disait Celia. En somme, l’annulation du mariage a été adoptée, à la majorité d’une voix. Le procès est repris, ce n’est qu’un retard.

Mais Benedetta hochait la tête.

— Non, non ! si monsignor Palma s’entête, jamais Sa Sainteté ne donnera son approbation. C’est fini.

— Ah ! si l’on était riche, très riche ! murmura Dario d’un air convaincu, qui ne fit sourire personne.

Puis, tout bas, à sa cousine :

— Il faut absolument que je te parle, nous ne pouvons plus vivre de la sorte.

Et elle répondit de même, dans un souffle :

— Descends demain soir, à cinq heures. Je resterai, je serai seule, ici.

La soirée s’éternisa ensuite. Pierre était infiniment touché de l’air d’accablement où il trouvait Benedetta, si calme et si raisonnable d’habitude. Ses yeux profonds, dans son visage pur, d’une délicatesse d’enfance, étaient comme voilés de larmes contenues. Il s’était déjà pris pour elle d’une véritable tendresse, à la voir toujours d’une humeur égale, un peu indolente, cachant sous cette apparence de grande sagesse la passion de son âme de flamme. Elle tâchait pourtant de sourire, en écoutant les jolies confidences de Celia, dont les amours marchaient