Page:Zola - Les Trois Villes - Rome, 1896.djvu/240

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

il s’oublia de nouveau devant les bustes, où ressuscite si réelle la Rome historique, qui fut incapable certainement de l’idéale beauté de la Grèce, mais qui enfanta de la vie. Ils sont tous là, les empereurs, les philosophes, les savants, les poètes, ils revivent tous, avec une prodigieuse intensité, tels qu’ils étaient, étudiés et rendus scrupuleusement par l’artiste, dans leurs déformations, leurs tares, les moindres particularités de leurs traits ; et, de ce souci extrême de vérité, jaillit le caractère, une évocation d’une puissance incomparable. Rien n’est plus haut en somme, ce sont les hommes eux-mêmes qui renaissent, qui refont l’histoire, cette histoire fausse dont l’enseignement suffit à faire exécrer l’antiquité par les générations d’élèves. Dès lors, comme on comprend, comme on sympathise ! Et c’était ainsi que les moindres fragments de marbre, les statues tronquées, les bas-reliefs en morceaux, un seul membre même, bras divin de nymphe ou cuisse nerveuse de satyre, évoquaient le resplendissement d’une civilisation de lumière, de grandeur et de force.

Narcisse ramena Pierre dans la galerie des Candélabres, longue de cent mètres, et où se trouvent de fort beaux morceaux de sculpture.

— Écoutez, mon cher abbé, il n’est guère que quatre heures, et nous allons nous asseoir un instant ici, car il arrive, m’a-t-on dit, que le Saint-Père y passe parfois pour descendre aux jardins… Ce serait une vraie chance, si vous pouviez le voir, lui parler peut-être, qui sait ?… En tout cas, ça vous reposera, vous devez avoir les jambes rompues.

Il était connu de tous les gardiens, sa parenté avec monsignor Gamba del Zoppo lui ouvrait toutes les portes du Vatican, où il aimait venir passer ainsi des journées entières. Deux chaises étaient là, ils s’installèrent, et il se remit à parler d’art, immédiatement.

Cette Rome, quelle étonnante destinée, quelle royauté