Page:Zola - Les Trois Villes - Rome, 1896.djvu/315

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de mille âmes. Rome, certainement, allait elle aussi doubler, tripler, quintupler, attirant à elle les forces vives des provinces, devenant le centre de l’existence nationale. Et l’orgueil s’en mêla, il fallait montrer au gouvernement déchu du Vatican ce dont l’Italie était capable, de quelle splendeur rayonnerait la nouvelle Rome, la troisième Rome, qui dépasserait les deux autres, l’impériale et la papale, par la magnificence de ses voies et le flot débordant de ses foules.

Les premières années, cependant, le mouvement des constructions garda quelque prudence. On fut assez sage pour ne bâtir qu’au fur et à mesure des besoins. D’un bond, la population avait doublé, était montée de deux cent mille à quatre cent mille habitants : tout le petit monde des employés, des fonctionnaires, venus avec les administrations publiques, toute la cohue qui vit de l’État ou espère en vivre, sans compter les oisifs, les jouisseurs, qu’une cour traîne après elle. Ce fut là une première cause de griserie, personne ne douta que cette marche ascensionnelle ne continuât, ne se précipitât même. Dès lors, la cité de la veille ne suffisait plus, il fallait sans attendre faire face aux besoins du lendemain, en élargissant Rome hors de Rome, dans tous les antiques faubourgs déserts. On parlait aussi du Paris du second empire, si agrandi, changé en une ville de lumière et de santé. Mais, aux bords du Tibre, le malheur fut, à la première heure, qu’il n’y eut pas un plan général, pas plus qu’un homme de regard clair, maître souverain de la situation, s’appuyant sur des Sociétés financières puissantes. Et ce que l’orgueil avait commencé, cette ambition de surpasser en éclat la Rome des Césars et des Papes, cette volonté de refaire de la Cité éternelle, prédestinée, le centre et la reine de la terre, la spéculation l’acheva, un de ces extraordinaires souffles de l’agio, une de ces tempêtes qui naissent, font rage, détruisent et emportent tout, sans que rien les annonce ni les arrête. Brusquement, le bruit courut