Page:Zola - Les Trois Villes - Rome, 1896.djvu/320

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aux échéances, les cinq ou six millions ne purent être rendus, puisque les maisons ne se vendaient ni ne se louaient, de sorte que l’écroulement commença, se précipita, des décombres sur des décombres : les petits spéculateurs tombèrent sur les constructeurs, ceux-ci sur les Sociétés foncières, celles-ci sur les Sociétés d’émission, qui tombèrent sur le crédit public, ruinant la nation. Voilà comment une crise simplement édilitaire devint un effroyable désastre financier, un danger d’effondrement national, tout un milliard inutilement englouti, Rome enlaidie, encombrée de jeunes ruines honteuses, les logements béants et vides, pour les cinq ou six cent mille habitants rêvés, qu’on attend toujours.

D’ailleurs, dans le vent de gloire qui soufflait, l’État lui-même voyait colossal. Il s’agissait de créer de toutes pièces une Italie triomphante, de lui faire accomplir en vingt-cinq ans la besogne d’unité et de grandeur, que d’autres nations ont mis des siècles à faire solidement. Aussi était-ce une activité fébrile, des dépenses prodigieuses, des canaux, des ports, des routes, des chemins de fer, des travaux publics démesurés dans toutes les villes. On improvisait, on organisait la grande nation, sans compter. Depuis l’alliance avec l’Allemagne, le budget de la guerre et de la marine dévorait les millions inutilement. Et on ne faisait face aux besoins, sans cesse grandissants, qu’à coups d’émissions, les emprunts se succédaient d’année en année. Rien qu’à Rome, la construction du Ministère de la Guerre coûtait dix millions, celle du Ministère des Finances quinze, et l’on dépensait cent millions pour les quais, qui ne sont pas finis, et l’on engloutissait plus de deux cent cinquante millions dans les travaux de défense, autour de la ville. C’était encore et toujours la flambée d’orgueil fatal, la sève de cette terre qui ne peut s’épanouir qu’en projets trop vastes, la volonté d’éblouir le monde et de le conquérir, dès qu’on a posé le pied au Capitole, même dans la poussière accumulée de tous les