Page:Zola - Les Trois Villes - Rome, 1896.djvu/351

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coucher, gagné lui-même par la passion du jeu qui montait de la cité entière, telle qu’une fumée d’ivresse ; et ce pape, du fond de sa chambre stoïquement close, se mettant à jouer sur les embellissements de son ancienne ville, tâchant de s’enrichir avec le mouvement d’affaires déterminé par ce gouvernement italien qu’il traitait de spoliateur, puis perdant brusquement des millions dans une colossale catastrophe qu’il aurait dû souhaiter, mais qu’il n’avait pas prévue ! Non, jamais, un roi détrôné n’avait cédé à une suggestion plus singulière, pour se compromettre dans une aventure plus tragique, qui le frappait comme un châtiment. Et ce n’était pas un roi, c’était le délégué de Dieu, c’était Dieu lui-même, infaillible, aux yeux de la chrétienté idolâtre !

Le dessert venait d’être servi, un fromage de chèvre, des fruits, et Narcisse achevait une grappe de raisin, lorsque, levant les yeux, il s’écria :

— Mais vous avez raison, mon cher, je vois très bien cette ombre pâle, là-haut, derrière les vitres, dans la chambre du Saint-Père.

Pierre, qui ne quittait pas des yeux la fenêtre, dit lentement :

— Oui, oui, elle avait disparu, elle vient de reparaître, et elle est toujours là, immobile, toute blanche.

— Parbleu ! que voulez-vous qu’il fasse ? reprit le jeune homme, de son air languissant, sans qu’on sût s’il se moquait. Il est comme tout le monde, il regarde par sa fenêtre, quand il veut se distraire un peu ; d’autant plus qu’il a vraiment de quoi regarder, sans se lasser jamais.

Et c’était bien ce fait qui, de plus en plus, s’emparait de Pierre, l’envahissait d’une émotion grandissante. On parlait du Vatican fermé, il s’était imaginé un palais sombre, clos de hautes murailles, car personne n’avait dit, personne ne semblait savoir que ce palais dominait Rome et que, de sa fenêtre, le pape voyait le monde. Cette immensité, Pierre la connaissait bien, pour l’avoir vue du