Page:Zola - Les Trois Villes - Rome, 1896.djvu/441

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Jésuites, les Jésuites ! Ils m’ont dévoré, moi, et ils me dévorent, ils ne laisseront rien de ma chair ni de mes os.

De sa voix entrecoupée, il conta son histoire, il dit sa jeunesse pleine d’espérance. Il était de petite noblesse provinciale, et riche de jolies rentes, et d’une intelligence très vive, très souple, souriante à l’avenir. Aujourd’hui, il serait sûrement prélat, en marche pour les hautes charges. Mais il avait eu le tort imbécile de mal parler des Jésuites, de les contrecarrer en deux ou trois circonstances. Et, dès lors, à l’entendre, ils avaient fait pleuvoir sur lui tous les malheurs imaginables : sa mère et son père étaient morts, son banquier avait pris la fuite, les bons postes lui échappaient dès qu’il s’apprêtait à les occuper, les pires mésaventures le poursuivaient dans le saint ministère, à ce point, qu’il avait failli se faire interdire. Il ne goûtait un peu de repos que depuis le jour où le cardinal Boccanera, prenant en pitié sa malchance, l’avait recueilli et attaché à sa personne.

— Ici, c’est le refuge, c’est l’asile. Ils exècrent Son Éminence, qui n’a jamais été avec eux ; mais ils n’ont point encore osé s’attaquer à elle, ni à ses gens… Oh ! je ne m’illusionne pas, ils me rattraperont quand même. Peut-être sauront-ils notre conversation de ce soir et me la feront-ils payer très cher ; car j’ai tort de parler, je parle malgré moi… Ils m’ont volé tout le bonheur, ils m’ont donné tout le malheur possible, tout, tout, entendez-vous bien !

Un malaise grandissant envahissait Pierre, qui s’écria, en s’efforçant de plaisanter :

— Voyons, voyons ! ce ne sont pas les Jésuites qui vous ont donné les fièvres ?

— Mais si, ce sont eux ! affirma violemment don Vigilio. Je les ai prises au bord du Tibre, un soir que j’allais y pleurer, dans le gros chagrin d’avoir été chassé de la petite église que je desservais.