Page:Zola - Les Trois Villes - Rome, 1896.djvu/481

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— Oui, oui, mon cher, une catastrophe serait un grand malheur. Ah ! que Dieu nous conserve longtemps encore Sa Sainteté…

Il s’arrêta, et comme il n’était pas hypocrite, il compléta sa pensée :

— Du moins qu’il nous la conserve en ce moment, car l’heure est mauvaise, je suis dans l’angoisse la plus affreuse, les partisans de l’Antéchrist ont gagné beaucoup de terrain dans ces derniers temps.

Un cri échappa à Santobono.

— Oh ! Votre Éminence agira, triomphera !

— Moi, mon cher ! Mais que voulez-vous que je fasse ? Je ne suis qu’à la disposition de mes amis, de ceux qui croiront en moi, uniquement pour la victoire du Saint-Siège. C’est eux qui doivent agir, travailler chacun dans ses moyens à barrer la route aux méchants, de manière à ce que les bons réussissent… Ah ! si l’Antéchrist règne…

Ce mot d’Antéchrist, qui revenait ainsi, troublait beaucoup Pierre. Tout d’un coup, il se souvint de ce que lui avait dit le comte : l’Antéchrist, c’était le cardinal Boccanera.

— Mon cher, songez à cela : l’Antéchrist au Vatican, consommant la ruine de la religion par son orgueil implacable, sa volonté de fer, sa sombre folie du néant ; car il n’y a plus à en douter, il est la bête de mort annoncée par les prophéties, celle qui menace de tout engloutir avec elle, dans sa furieuse course aux ténèbres de l’abîme. Je le connais, il ne rêve qu’obstination et qu’effondrement, il prendra les piliers du temple et les ébranlera pour s’abîmer sous les décombres, lui et la catholicité entière. Je ne lui donne pas six mois, sans qu’il soit chassé de Rome, fâché avec toutes les nations, exécré de l’Italie, traînant par le monde le fantôme errant du dernier pape.

Un grognement sourd, un juron étouffé de Santobono accueillit cette effroyable prédiction. Mais le train était arrivé en gare ; et, parmi les quelques voyageurs qui