Page:Zola - Les Trois Villes - Rome, 1896.djvu/539

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insondables. Et, dans cette enfance qui lui revenait, si gaie, si bonne, elle avait eu le délicieux instinct de se mettre en robe blanche, une robe tout unie de jeune fille, dont le symbole disait sa virginité, le grand lis pur qu’elle était restée obstinément, pour le mari de son choix. Rien de sa chair ne se montrait encore, pas même la discrète échancrure permise sur la gorge. C’était mystère d’amour impénétrable, redoutable, une beauté souveraine de femme, dont la toute-puissance dormait là, voilée de blanc. Aucune parure, pas un bijou, ni aux mains, ni aux oreilles. Sur le corsage, rien qu’un collier, mais un collier de reine, le fameux collier de perles des Boccanera, qu’elle tenait de sa mère et que Rome entière connaissait, des perles d’une grosseur fabuleuse, jetées là, à son cou, négligemment, et qui suffisaient, dans sa robe simple, à lui donner la royauté.

— Oh ! murmura Pierre extasié, qu’elle est heureuse et qu’elle est belle !

Tout de suite, il regretta d’avoir ainsi pensé à voix haute ; car il entendit, à son côté, une plainte sourde de fauve, un involontaire grondement, qui lui rappela la présence du comte. Celui-ci, d’ailleurs, étouffa ce cri de sa blessure, brusquement rouverte. Et il eut encore la force d’affecter une gaieté brutale.

— Fichtre ! ils ne manquent pas d’aplomb, tous les deux ! J’espère bien qu’on va les marier et les coucher devant nous.

Puis, regrettant cette grossièreté de plaisanterie, où se révoltait la souffrance de son désir inassouvi de mâle, il voulut se montrer indifférent.

— Elle est vraiment jolie, ce soir. Vous savez qu’elle a les plus belles épaules du monde, et que c’est un vrai succès pour elle que de paraître plus belle encore, en ne les montrant pas.

Il continua, parvint à causer d’un air détaché, contant de menus faits sur celle qu’il s’obstinait à nommer la