Page:Zola - Les Trois Villes - Rome, 1896.djvu/547

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— Mais Dario et moi, nous ne les marions pas, au contraire ! reprit gaiement Benedetta. Va, va, comme tu me l’as répondu, ce même soir, il suffit de s’aimer, et l’on sauve le monde !

Lorsque Pierre put enfin gagner la porte de la salle des antiques, où était installé le buffet, il y retrouva Prada debout, cloué là, immobilisé, s’emplissant quand même les yeux de l’atroce spectacle qu’il voulait fuir. Il avait dû se retourner, voir, voir encore. Et ce fut ainsi qu’il assista, le cœur saignant, à la reprise des danses, la première figure d’un quadrille, que l’orchestre jouait avec l’éclat de ses cuivres. Benedetta et Dario, Celia et Attilio, se faisaient vis-à-vis. Cela fut si charmant, si adorable, ces deux couples de jeunesse et de joie, dansant dans la clarté blanche, dans le luxe et dans l’odeur d’amour, que le roi et la reine s’approchèrent, s’intéressèrent. Il y eut des bravos d’admiration, une infinie tendresse s’épandit de tous les cœurs.

— Je crève de soif, venez donc ! répéta Prada, qui put enfin s’arracher à sa torture.

Il se fit servir un verre de limonade glacée, il l’avala d’un trait, de l’air goulu d’un fiévreux qui jamais plus n’apaisera le feu intérieur dont il est brûlé.

Cette salle des Antiques était une vaste pièce, dallée d’une mosaïque, décorée de stuc, où se trouvait, le long des murs, une célèbre collection de vases, de bas-reliefs, de statues. Les marbres dominaient, il y avait là pourtant quelques bronzes, entre autres un gladiateur mourant, d’une beauté incomparable. Mais la merveille était la fameuse Vénus, un pendant à la Vénus du Capitole, plus fine, plus souple, le bras gauche détendu, en un geste de voluptueux abandon. Ce soir-là, un puissant réflecteur électrique jetait sur elle une éblouissante clarté d’astre ; et le marbre, dans sa divine et pure nudité, semblait vivre d’une vie surhumaine, immortelle.

Contre le mur du fond, on avait installé le buffet, une