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Page:Zola - Les Trois Villes - Rome, 1896.djvu/550

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il devenait son bien, sa chose, dont elle disposait à toute heure pour son plaisir à elle. Et il citait des liaisons sans fin, celle entre autres de donna Serafina et de Morano, devenues de véritables mariages ; et il raillait ce manque de fantaisie, ce don total et trop lourd, ces baisers qui s’embourgeoisaient, qui ne pouvaient finir, s’ils finissaient, qu’au milieu des catastrophes les plus désagréables.

— Mais qu’avez-vous, qu’avez-vous donc, mon bon ami ? se récria de nouveau Lisbeth en riant. C’est très gentil au contraire, ce que vous nous racontez là ! Lorsqu’on s’aime, il faut bien s’aimer toujours.

Elle était délicieuse, avec ses fins cheveux blonds envolés, sa délicate nudité blonde ; et Narcisse, languissant, les yeux à demi fermés, la compara à une figure de Botticelli, qu’il avait vue à Florence. La nuit s’avançait, Pierre était retombé dans sa préoccupation assombrie, lorsqu’il entendit une femme, qui passait, dire qu’on dansait déjà le cotillon. En effet, les cuivres de l’orchestre sonnaient au loin, et il se rappela brusquement le rendez-vous que monsignor Nani lui avait donné, dans le petit salon des glaces.

— Vous partez ? demanda vivement Prada, en voyant que le prêtre saluait Lisbeth.

— Non, non ! pas encore.

— Ah ! bon, ne partez pas sans moi. Je veux marcher un peu, je vous accompagnerai jusque là-bas… N’est-ce pas ? vous me retrouverez ici.

Pierre dut traverser deux salons, un jaune et un bleu, avant d’arriver, tout au bout, au petit salon des glaces. Ce dernier était en vérité une merveille, d’un rococo exquis, une rotonde de glaces pâlies, que d’admirables bois dorés encadraient. Même au plafond, les glaces continuaient en pans inclinés, de sorte que, de toutes parts, les images se multipliaient, se mêlaient, se renversaient, à l’infini. Par une heureuse discrétion, l’électricité n’y avait pas été mise, deux candélabres seulement y brûlaient,